Dans le cadre de l’élaboration d’un avis d’initiative sur le sans-abrisme, la Commission Action-Intégration sociale du CESE Wallonie a entendu les équipes universitaires qui ont mené, avec le soutien de la Fondation Roi Baudouin, des études approfondies sur le terrain. Cet article fait la synthèse des principaux chiffres et constats dressés, montrant que le sans-abrisme, encore peu connu, ne se limite pas aux grandes villes et recouvre des situations de vie très variées. 

La problématique du sans-abrisme ou de l’absence de chez soi revêt de nombreux aspects, encore méconnus. Il s’agit d’une forme extrême de pauvreté, qui prive les personnes concernées d’une combinaison de ressources matérielles et immatérielles. Pour pouvoir lutter efficacement contre ce phénomène, il est important de disposer de données fiables. La Fondation Roi Baudouin a soutenu des équipes universitaires [1] pour mener des études de terrain en collaboration avec les services sociaux et les pouvoirs locaux dès 2020.[2]

Plusieurs catégories sont identifiées pour rendre compte des situations diverses auxquelles sont exposées les personnes qui n’ont pas de logement : espace public, hébergement d’urgence ou pour personnes sans-abri, sortie de séjour en institution, logement non conventionnel (caravane, cabane, squat, …), logement temporaire chez des amis ou dans la famille, être sous la menace d’une expulsion de son logement.

En Wallonie, les villes de Liège et Arlon ont été choisies durant la phase expérimentale en 2020, les villes de Charleroi et Namur en 2021. L’opération se poursuit en 2022 à Tournai et dans 9 communes du Brabant wallon ainsi qu’en Communauté germanophone.

Les résultats observés fin octobre 2021 à Charleroi indiquent, sur près de 1.160 personnes repérées, qu’un grand nombre (36%) se trouvent dans l’espace public ou dans un abri non-conventionnel. Une majorité (70%) sont des hommes. Les enfants concernés sont nombreux (200), surtout présents dans les foyers d’hébergement, chez des parents ou amis. Une personne sur deux est en instabilité de logement depuis moins d’un an. Une personne sur trois a un problème d’assuétude, près d’une personne sur cinq a entre 18 et 25 ans. 80% des individus recensés sont belges.

Derrière les chiffres, des situations variées

Les chiffres relevés pour Namur sont globalement comparables avec une présence plus importante de femmes, d’enfants et de jeunes adultes ainsi que de personnes hébergées chez des amis ou des parents. Seule une personne sur quatre n’a pas de problème de santé, près de 27 % connaît un problème d’assuétude. Près de 17% du public serait éligible au programme « housing first », c’est-à-dire en situation de sans-abrisme depuis plus de 2 ans et rencontrant des problèmes psychiques ou d’assuétude. 21% des personnes recensées n’ont pas de revenu formel, 71% bénéficient d’un revenu de remplacement ou d’une allocation, près de 5% d’un revenu du travail.

Le nombre de personnes dénombrées est régulièrement plus élevé que le chiffre attendu, dévoilant aussi le sans-abrisme « caché ». Les travaux de terrain font apparaître ainsi une partie immergée de l’iceberg que représente le mal logement. Ils démontrent que les situations s’avèrent beaucoup plus variées et nuancées que l’image stéréotypée souvent associée à la personne vivant à la rue, à savoir celle d’un homme isolé avec des problèmes d’assuétude. Les études de terrain indiquent aussi que le phénomène du sans-abrisme ou de l’absence de chez soi n’est pas uniquement limité aux grandes villes, même s’il y est plus important. Selon les premières projections, 6 personnes sur 1.000 habitants seraient concernées dans les grandes villes, 4 pour 1.000 habitants dans les villes moyennes et de 0,5 à 1 pour 1.000 habitants dans les petites communes.

Le sans-abrisme le plus visible (espace public et foyers d’accueil) ne représente qu’un tiers de la population recensée. Les relevés de terrain ont fait apparaître l’importance de l’hébergement temporaire dans la famille ou chez des amis ainsi que le grand nombre de personnes vivant dans des lieux non conventionnels.

Les femmes représentent entre 30 et 35% des personnes dénombrées. Elles sont souvent accompagnées d’enfants, leur situation résulte fréquemment de problèmes relationnels dont la violence intrafamiliale. Les enfants sont aussi directement concernés par la problématique, ils représentent 26% des personnes dénombrées et séjournent principalement dans les centres d’accueil, les logements de transit ou, avec leurs parents, chez des amis ou des membres de la famille.

Les jeunes adultes (18-25 ans) représentent environ 20% des personnes sans-abri. Leur situation est souvent causée par un conflit avec les parents. Ils sont régulièrement hébergés par des amis ou d’autres membres de la famille. La durée de leur sans-abrisme est plus courte. A noter qu’entre 15 et 30% d’entre eux, selon les villes, ont un passé en institution d’aide à la jeunesse. Les femmes y sont plus présentes (40%) et une majorité des jeunes adultes concernés bénéficie de revenus provenant des CPAS. Comparativement aux adultes plus âgés, les jeunes sont moins nombreux à avoir des problèmes de santé, physiques, psychiques ou d’assuétudes.

Pour une logique préventive

La Wallonie a récemment mis en place un observatoire du sans-abrisme, ancré au sein de l’administration et associant les diverses parties prenantes impliquées dans la lutte contre le sans-abrisme. Celui-ci devrait permettre de disposer de données quantitatives et qualitatives concernant les personnes sans-abri, d’assurer le suivi d'une stratégie globale de lutte contre la grande précarité, de permettre un basculement vers une logique préventive du sans-abrisme en lieu et place d'une logique de gestion de la pauvreté. Il s’agit d'adopter des plans d’action davantage ciblés et efficaces. Les pouvoirs locaux, régulièrement confrontés à la grande précarité, pourront également y trouver une expertise.

La Commission Action et Intégration sociale du Conseil ainsi que ses sections « Action sociale » et « Intégration des personnes étrangères », assurent un suivi de la situation et des mesures prises, notamment dans le cadre du Plan de wallon de sortie de la pauvreté, en donnant la parole aux acteurs de terrain, en vue de préparer de futurs avis.

 


[1] CIRTES UCLouvain et LUCAS, KULeuven

[2] Les objectifs, méthodologie et résultats détaillés de l’étude sont disponibles en ligne : http://www.sansabrismeabsencedechezsoi.be/